lundi 13 mai 2013

La roulette russe du prénatest


10 h 15. Je me réveille douloureusement engourdi, le cou raidi pour avoir dormi 45 min sur une pauvre chaise de plastique usé. Désorienté, je me tourne vers ma douce et je me demande où l’on est. Ah oui, Ste-Justine. Merde, ce n’était pas un mauvais rêve : nous rencontrerons bientôt un généticien.

   Nous avons été contactés la semaine précédente pour nous avertir que le prénatest s'est conclu avec 1 « chance » sur 291 que notre enfant soit trisomique. Wow, quelle chance! On parle de mon enfant qui, la veille de cette nouvelle, nous avons choisi le prénom en sachant son sexe. 5 semaines se sont écoulées entre le prénatest et l’appel de la gynécologue. Une éternité dans une grossesse lorsqu’on se dit que tout va bien.

    Dans le regard de ma douce, je vois bien l’angoisse entassée qui tente tout pour ne pas exploser. Elle ne comprend pas comment j’ai fait pour dormir, ici, dans ce moment d’attente insoutenable. 
    Simple, se lever à 5 h du matin, moi, ça m’épuise. Surtout quand le tourment m’a tenu réveillé toute la nuit à l’issue de cette rencontre. J’affiche mon air détendu et calme, mais mon esprit tourbillonne alors que ma morale change d’avis aux 10 min. Gardera ou gardera pas le bébé, telle est la question.

schéma d'amniocentèse... la seringue n'est pas à l'échelle!!
    Toujours « certain » que cette probabilité était infime, on souhaitait tous deux sortir rassurés de cette rencontre informative. Au contraire, nous voilà encore plus débités avec toutes les autres sortes de maladies et de trisomies indétectables. On pensait, à tort, qu’à Ste-Justine, ils sauraient effectuer des tests plus précis pour éloigner cette issue. Pourtant, ils font les mêmes vérifications, avec les mêmes outils, avec du personnel aussi qualifié. Après une simple échographie, dans une salle de la grosseur d’un garde-robe, on attend patiemment dans la salle d’attente et on doit discuter de la suite des choses. Réfléchir particulièrement si on veut prendre le pari, à 1 contre 200, de « tuer » notre garçon lors d’une amniocentèse qui statuerait si on est le malchanceux couple sur 291. J'ai jamais été un gros fan de la roulette russe.

roulette russe avec bébé


    Moi, j’avais besoin de dormir. Trop de chiffres, de statistiques et de probabilités. Et débattre mes opinions à côté d’autres futurs parents, tous aussi embêtés, me tracassait. On traversera le pont lorsqu’on y sera. Optimisme Power. Et les petits bambins handicapés qui nous entouraient me gênaient. Impossible d’émettre tout haut l’idée d’avorter afin d’éviter leur triste sort : « Tiens chérie, veux-tu vraiment avoir un enfant comme ça?! »

    Quatre chaises à notre gauche, un couple s’avérait encore moins, ou plus, chanceux. L’homme tentait de se la jouer cool avec sa femme avec sa mince probabilité de 1 sur 75. Difficile de les ignorer, on faisait semblant de ne pas écouter en fixant le plancher. Et enfin, après 1 h 30 à s’aplatir les fesses, c’est notre tour. À cet instant, l’estomac veut recracher mon croissant de cafétéria pour détourner l’attention, mais je réussis à le contrôler. Je me dois d’être fort, car je sens ma blonde fragile comme un pissenlit automnal à l’aube d’une bourrasque.

   Et ce n’est pas la première phrase de la généticienne qui aide à nous apaiser : « Désolé du délai, c’est que j’ai demandé des tests plus poussés au labo avant de vous rencontrer. »  Mon cœur palpite au rythme de « fuck, fuck, fuck, non, non, non, merde, merde... » Ça y est, je vais craquer. Je sens le torrent d’émotions venir. Et avant ma blonde en plus, elle qui semble totalement absente.

« En fait, ça fait déjà un bout que j’ai votre dossier, mais je me posais des questions sur certaines choses et j’espérais avoir un appel du lab avant de vous voir. Je ne voulais plus vous faire patienter davantage… »
Driiiiing. Non, pas vrai. Interrompu par le téléphone! 
    
   Ils font exprès! Dites le bordel de merde si, oui ou non, nous devons fondre en larmes ou pas! Nous sommes sur le bout de nos chaises à tenter de deviner ce que le technicien lui dit. Rien n’y fait et le chiffre qu’elle gribouille me rend d’autant plus confus.

« Bon, désolé encore pour le délai, il fallait que je le prenne. »
You bet ma grande! Je réfléchis fort et me m’accroche à ma chaise pour ne pas la brusquer. Elle continue, lentement :
« C’était justement ce que j’attendais. Les chiffres ont drastiquement changé. »
« Drastiquement », c’est bon ou c’est mauvais? Mais va telle finir par le dire...

— Le chiffre est plus petit, qu’elle annonce neutre.
— Euh, pour être clair, c’est positif? Dans le sens qu’il y a moins ou plus de chance? dis-je, plutôt embrouillé.
— Oui, oui! C’est une fraction, donc plus chiffre petit, comportant moins de risques. Vous êtes passés à 1/4150.
QUOI!? Comment est-ce possible?
— Bien, vous devez savoir que ce chiffre est le résultat de plusieurs facteurs : âge, l’hérédité et la clarté nucale. Et cette dernière donnée n’avait pas été calculée initialement. Pourtant le document est dans votre dossier, mais pour une raison qui m’échappe, le technicien au laboratoire ne l’avait pas entré dans l’équation. Je ne peux rien garantir, mais la probabilité est beaucoup plus encourageant... disons.

   Dison que j’ai envie de pleurer, de soulagement.
   Les larmes voguent sur mes cils, mais résistent à la pensée qu’un idiot a commis une lourde bourde. Je devrais être en tab$@(), mais tout ce qui nous tente, c’est sortir de cet hôpital et ne plus jamais y revenir! 

   La vie est belle, ma blonde rayonne à nouveau avec son ventre bien garni et on garde le cap sur l’optimisme. Ça me rappelle que parfois, mieux vaut ne pas tout savoir et s’imaginer le meilleur pendant 9 mois.
Fuck les probabilités!  


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